En mai 2022, le PDG de Black Rock, Larry Fink, déclarait : « l’invasion de l’Ukraine par la Russie a mis fin à la mondialisation telle que nous l’avons connue lors des trois dernières décennies ». En réalité, la guerre en Ukraine n’a fait qu’exacerber une tendance à l’œuvre depuis un certain nombre d’années. Ce qu’on a appelé la « mondialisation », à savoir l’extension inédite du commerce international, était le fruit de conditions historiques bien particulières – et qui n’existent plus aujourd’hui.

L’âge d’or de la mondialisation

Avant la fin des années 2000, la mondialisation et le libre-échange étaient en vogue. Les libéraux comme les conservateurs vouaient un véritable culte aux théories d’Adam Smith (1723-1790), qui considérait le libre-échange comme un puissant vecteur de progrès. C’était en partie justifié : ses idées ont semblé trouver une confirmation dans la constitution d’un marché mondial de plus en plus intégré. Sur fond de baisse générale des tarifs douaniers, les échanges commerciaux, les investissements directs à l’étranger et les chaînes d’approvisionnement reliaient les nations, les industries et les travailleurs du monde entier. Autrement dit, le capitalisme semblait avoir dépassé, au moins partiellement, l’un des deux obstacles majeurs au développement des forces productives, selon Karl Marx : la division du monde en Etats-nations rivaux – l’autre obstacle étant la propriété privée des moyens de production.

C’était le résultat d’un long processus. Lorsque le capitalisme a émergé, il lui a d’abord fallu briser les barrières douanières et légales du système féodal, car elles entravaient le développement du commerce et de l’industrie. Telle fut la tâche des révolutions bourgeoises – dont la Grande Révolution française de 1789-94 – entre le XVIIe et le XIXe siècle. Cela permit de créer de véritables marchés nationaux, qui furent les principaux théâtres du développement du capitalisme dans la première phase de son existence.

A mesure que le capitalisme développait les forces productives, la « libre concurrence » se transformait en son contraire : la domination de l’économie par un petit nombre de grands monopoles. Pour se lancer dans la production de tissus, il ne suffisait plus d’un atelier et de quelques tisserands : il fallait une usine et des machines très coûteuses, ce qui supposait des capitaux beaucoup plus importants. Les gros capitalistes ont écrasé les petits, et une quantité croissante de capitaux se sont retrouvés concentrés dans un nombre de mains de plus en plus réduit.

Leur propre marché national est assez vite devenu insuffisant pour ces géants, qui ont dû chercher à l’échelle internationale des débouchés pour y déverser leurs marchandises, se fournir en matières premières et investir les profits qu’ils accumulaient. Cette exportation croissante de capitaux a facilité la domination du « capital financier » – fusion du capital industriel et du capital bancaire – sur les marchés national et mondial. Ces mécanismes, que Lénine décrivait dans son L’impérialisme : le stade suprême du capitalisme, dominent plus que jamais l’économie mondiale, de nos jours.

Ainsi, n’en déplaise à la fable libérale, la « mondialisation » n’est pas un phénomène récent. Marx l’avait analysée et, surtout, anticipée dès le milieu du XIXe siècle. Il n’empêche : les décennies qui ont suivi la Deuxième Guerre mondiale ont été marquées par une expansion inédite du commerce mondial. En 1970, la part du commerce international dans le PIB mondial était de 13 %. En d’autres termes, un huitième des biens et des services était produit pour l’exportation. En 1980, ce chiffre atteignait 21 %, puis 24 % dans les années 1990 et 31 % en 2008, au seuil de la récession mondiale.

Le développement du libre-échange, à l’échelle mondiale, s’est traduit par une série de traités et d’institutions. En 1947 était signé l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT). Il regroupait 20 pays. En 1959, il comptait 37 signataires, puis 75 en 1968. Lors de la création de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), en 1994, le GATT comptait 128 signataires. Sous l’écrasante domination des Etats-Unis, le marché mondial devenait le facteur le plus décisif de la dynamique économique internationale.

Le développement du commerce mondial a réduit les coûts des matières premières. Comme Adam Smith l’avait anticipé, les capitaux investis dans l’extraction des matières premières se sont orientés vers les régions du monde où elles étaient les plus accessibles. Par exemple, pourquoi extraire le minerai de fer en Chine, où cela coûte 90 dollars la tonne, si cela revient trois fois moins cher dans l’arrière-pays australien ?

La combinaison de ressources venant du monde entier a stimulé le développement de la technologie moderne. Par exemple, la moitié des réserves mondiales de cobalt se situe en République démocratique du Congo ; un tiers du nickel mondial est produit en Indonésie et la moitié du lithium en Australie. Ces matériaux sont tous des composants essentiels des batteries au lithium.

Le développement d’immenses monopoles taillés pour le marché mondial a permis de réaliser des économies d’échelle inédites et de produire les marchandises dans des quantités pharaoniques. La chaîne d’assemblage de Foxconn, à Shenzhen (Chine), peut produire jusqu’à 100 000 iPhones par jour.

Avec la croissance du commerce mondial, un certain nombre d’anciens pays coloniaux ont commencé à développer une base industrielle conséquente. Ce fut le cas par exemple de la Corée du Sud et de Taïwan. Parallèlement, la Chine, qui avait déjà développé une puissante industrie sous le régime stalinien de Mao, a rejoint ce processus lors du rétablissement du capitalisme dans ce pays. En l’espace de 30 ans, l’économie chinoise s’est complètement transformée. La part du secteur primaire (mines, agriculture, etc.) dans l’utilisation de la force de travail y est passée de 60 à 34 %, tandis que la part de l’industrie bondissait de 20 à 34 %.

La division internationale du travail a favorisé la production et la commercialisation de marchandises bon marché, comme les téléphones portables. Même dans un pays pauvre comme l’Inde, 84 % de la population a aujourd’hui un abonnement de téléphonie mobile (contre 1 % en 2001).

Ce processus a été à la fois la cause et la conséquence de la croissance inédite du capitalisme mondial, dans la foulée de la Deuxième Guerre mondiale. Même lorsqu’une puissance impérialiste perdait du terrain face à un concurrent, dans tel ou tel secteur économique, la hausse globale du marché mondial lui permettait de compenser tout ou partie de ce déclin.

Protectionnisme et impérialisme

L’histoire de la mondialisation, que nous venons de résumer à grands traits, serait incomplète et unilatérale si l’on n’ajoutait pas que, sous le capitalisme, le libre-échange n’a jamais cessé de cohabiter avec son exact opposé : le protectionnisme.

Au milieu du XIXe siècle, l’industrie britannique régnait en maître sur le marché mondial. La Grande-Bretagne était alors le principal champion du libre-échange, que ses armées pouvaient imposer par la force à des pays rétifs, comme ce fut le cas durant les « guerres de l’Opium » contre la Chine (1839-1840 et 1856-1860). Britannia régnait sur les flots pour assurer la libre circulation de ses marchandises bon marché. Cependant, cela représentait une menace pour les nations capitalistes dont l’industrie était moins développée. Comme l’écrivait Engels, celles-ci « n’approuvaient pas un système dans lequel l’avance industrielle de l’Angleterre lui aurait permis, à un certain point, de s’assurer pour toujours le monopole des produits manufacturés sur le monde entier. » [1] Ces pays ont donc mis en place des mesures protectionnistes.

La Suède, par exemple, a introduit des mesures pour restreindre ses exportations de matières premières, dont les usines de Manchester ou de Liverpool étaient friandes. Approvisionner ces centres industriels britanniques en bois ou en fer ne contribuait guère au développement de l’industrie suédoise. Au contraire, cela tendait à la cantonner au rôle de fournisseur de produits bruts. Ces mesures visaient donc à assurer la mise sur pied d’une industrie capable de transformer ces matières premières sur le sol suédois. Lorsque les industries suédoises ont rattrapé leur retard, Stockholm a levé ces restrictions et a même signé des accords de libre-échange avec Londres et Paris.

Au cours de la deuxième moitié du XIXe siècle, ce processus s’est répété dans toute une série de pays, et notamment aux Etats-Unis et en Allemagne. Ces pays ont alors commencé à concurrencer la Grande-Bretagne. C’était d’autant plus facile que l’industrie britannique était plus ancienne, et donc encombrée par un appareil productif souvent âgé et arriéré par rapport aux usines neuves de la Ruhr ou d’Amérique.

Cette situation a provoqué un tournant politique majeur au Royaume-Uni, dans les années 1930. La classe dirigeante britannique a cherché à protéger son propre marché national des marchandises étrangères bon marché. Autrefois championne du libre-échange, Londres est devenue le porte-drapeau du protectionnisme.

L’ensemble de ce processus s’est accompagné d’une lutte acharnée pour le partage du monde entre grandes puissances. La conquête de colonies permettait d’étendre les marchés « nationaux » en leur adjoignant le marché des pays soumis, dans lesquels biens et capitaux pouvaient se déverser à l’abri des barrières douanières coloniales. La concurrence entre les monopoles s’est donc doublée d’une concurrence entre les nations pour accaparer le plus possible de colonies.

A la fin du XIXe siècle, les principales nations impérialistes s’étaient partagé le monde. Toute nouvelle expansion de l’une d’entre elles ne pouvait se faire qu’aux dépens d’une autre. Il en résulta une exacerbation constante des contradictions et des tensions entre puissances impérialistes. Par rapport au développement de leurs économies respectives, l’Allemagne, mais aussi l’Italie, le Japon et les Etats-Unis étaient mal « dotés » en colonies. Ces puissances devaient donc tenter d’en arracher aux puissances déjà établies, en premier lieu la Grande-Bretagne et la France, mais aussi l’Espagne et le Portugal. Ces contradictions inter-impérialistes aboutirent à la Première Guerre mondiale de 1914-1918.

Après quatre années de boucherie et près de 10 millions de morts, la Première Guerre impérialiste mondiale n’avait résolu aucune des contradictions fondamentales qui l’avaient provoquée. Au contraire : elle n’avait fait que les intensifier – et donc préparer la voie à une nouvelle guerre mondiale. Après le krach de 1929, une avalanche de mesures protectionnistes firent chuter le commerce mondial de près de 30 % et transformèrent la récession en dépression mondiale. Il fallut la Seconde Guerre mondiale et ses destructions dantesques pour mettre fin à la crise de surproduction qui avait éclaté en 1929.

Le tournant de 2008

Si les tendances au protectionnisme sont restées marginales entre 1945 et 2008, elles n’ont pas disparu pour autant. Elles sont inhérentes au capitalisme, et elles se sont puissamment réaffirmées dès que les conditions leur ont été favorables. La crise de 2007-2008 a mis fin à l’expansion du libre-échange qui avait caractérisé les décennies précédentes, car elle a brutalement restreint les marchés et contraint les capitalistes rivaux à se battre plus férocement pour leur contrôle.

Nombre de commentateurs bourgeois attribuent à Trump la responsabilité du retour du protectionnisme. En réalité, bien avant le « America First » de Trump, Barack Obama avait lancé le slogan « Buy American ! » (« Achetez américain ! »). Il a remis en vigueur une loi datant de 1933 : le « Buy American Act », qui favorisait les produits américains par rapport aux marchandises importées, mais qui avait été considérablement affaibli par divers accords commerciaux tels que le GATT.

Durant son mandat, Trump a introduit toute une série de mesures protectionnistes, en particulier autour de l’acier. Biden en a annulé certaines, mais il en a imposé d’autres. Par exemple, sa loi sur la réduction de l’inflation (IRA) restreint les subventions à l’achat aux seules voitures électriques produites aux Etats-Unis. Cela porte un coup aux entreprises automobiles européennes. En réponse, Macron a réclamé un « Buy European Act » (une loi « Achetez européen »), et Berlin a violemment dénoncé le comportement des Etats-Unis vis-à-vis de ses « alliés » traditionnels.

La montée en puissance de la Chine est une autre source majeure de tensions protectionnistes. Au cours des 30 dernières années, une grande partie du développement industriel, à l’échelle mondiale, s’est produit en Chine. Depuis le milieu des années 1990, la productivité du travail y a augmenté de 7 à 10 % par an.

Dans un premier temps, le développement de l’économie chinoise a été une aubaine pour l’économie mondiale. De manière générale, l’ouverture des marchés des anciens pays staliniens en Europe de l’Est, et surtout en Chine, a été l’un des facteurs clés de la croissance dans les années 1990 et au début des années 2000. Les succès économiques de Pékin ont permis de limiter l’ampleur de la récession mondiale de 2008. Cependant, il y avait un revers de la médaille. Les Etats-Unis, en particulier, se sont de plus en plus inquiétés de la croissance chinoise. Ils ont pris acte du fait que les entreprises chinoises s’intéressaient sérieusement aux brevets et à la propriété intellectuelle, notamment dans l’agriculture et l’électronique, et que des entreprises chinoises comme Lenovo, Geely ou Huawei prenaient le contrôle d’entreprises et des parts de marché en Occident. Les entreprises occidentales ont commencé à s’inquiéter de cette concurrence croissante.

En 2011, sous la présidence d’Obama, Washington parlait déjà d’un « pivot vers l’Asie », c’est-à-dire d’une stratégie de l’impérialisme américain pour contrer l’influence croissante de la Chine dans l’espace indopacifique. Mais la quantité s’est transformée en qualité, en 2015, avec l’annonce par le gouvernement chinois de son plan « Made in China 2025 ». Ce plan confirmait que la Chine ne se contenterait plus de produire des meubles et d’assembler de l’électronique : elle voulait être compétitive dans les secteurs les plus avancés et réduire sa dépendance vis-à-vis des fournisseurs étrangers.

La valeur de la production globale de l’économie chinoise se rapproche désormais de celle des Etats-Unis. Cependant, la Chine reste encore loin derrière la première puissance mondiale, notamment en termes de productivité. Le FMI estime que la productivité moyenne de son industrie est encore inférieure de 35 % à celle des économies les plus avancées.

Ce n’est que dans les zones les plus développées, dans les villes du delta de la rivière des Perles, à Shanghai ou à Pékin, que l’on trouve un PIB par habitant comparable à celui de l’Espagne ou du Portugal. La Chine n’est donc pas encore au niveau des pays impérialistes tels que l’Allemagne, le Japon ou les Etats-Unis. Mais elle veut y parvenir et représente donc une menace pour les puissances impérialistes déjà établies, et en particulier pour les Etats-Unis.

Washington a mis en place toute une série de mesures pour freiner le développement de la Chine. Les Etats-Unis utilisent notamment leur puissance économique et diplomatique pour tenter d’empêcher d’autres pays d’exporter des composants clés vers la Chine, ou encore d’acheter des technologies comme la 5G à des entreprises chinoises telles que Huawei. Sous Trump, cette politique a posé les bases d’une véritable guerre commerciale avec la Chine.

Les Etats-Unis restent la première superpuissance mondiale, loin devant leurs rivaux, dans toute une série de domaines, et notamment dans le domaine militaire. En chiffres bruts, le budget militaire américain est équivalent à celui des dix nations suivantes prises ensemble. Il est 2,7 fois supérieur à celui de la Chine, qui arrive en deuxième position.

Cette puissance militaire considérable est utilisée pour défendre les intérêts de la classe dirigeante américaine. Par le passé, ces intérêts coïncidaient – dans une certaine mesure – avec ceux des autres grandes puissances capitalistes. La force de frappe américaine visait à assurer le libre-échange durant la période de croissance d’après-guerre, mais aussi à défendre les intérêts généraux du capitalisme contre la menace que représentait l’Union soviétique. Aujourd’hui, les intérêts des différents Etats impérialistes sont de plus en plus contradictoires. Quant aux Etats-Unis, leur déclin relatif les oblige à prendre des mesures pour se protéger de la concurrence étrangère, à l’image de ce que fit la Grande-Bretagne à la fin du XIXe siècle.

Désormais, les intérêts impérialistes d’un certain nombre d’alliés traditionnels des Etats-Unis ne coïncident pas toujours avec ceux de Washington. La guerre en Ukraine en fournit une bonne illustration. L’administration Biden a imposé des sanctions contre la Russie qui ont eu peu d’impacts négatifs, en retour, sur l’économie américaine, mais qui ont durement frappé l’industrie européenne, et en particulier l’industrie allemande. C’est ce qui explique les réticences plus ou moins voilées de plusieurs pays européens – dont la France et l’Allemagne – face à la guerre par procuration que mène Washington contre la Russie, en Ukraine.

Dans ce contexte, les Etats-Unis ont pris des mesures unilatérales et imposé de nouvelles règles qu’ils entendent appliquer non seulement aux entreprises américaines, mais à n’importe quelle entreprise dans le monde. Par exemple, ils ont exigé que les entreprises européennes se conforment à l’embargo de Washington contre Cuba, sous peine d’être à leur tour visées par des sanctions. Ils ont aussi imposé à des entreprises taïwanaises de semi-conducteurs d’obtenir leur consentement avant d’exporter des machines vers leurs usines en Chine continentale.

Ceci étant dit, les Etats-Unis ne sont pas les seuls responsables de l’actuelle vague de mesures protectionnistes. L’Union européenne a également intérêt à contrer la concurrence chinoise. Elle a mis sur pied une série de mesures visant à restreindre les importations de semi-conducteurs ou de batteries au lithium en provenance de Chine. Quant au gouvernement chinois, s’il n’a pas encore adopté de lois ouvertement protectionnistes, il a resserré son contrôle sur les entreprises occidentales opérant en Chine.

De Charybde en Scylla

Tous ces conflits s’intensifient sous la pression des événements et auront des conséquences majeures. Réorganiser les chaînes d’approvisionnement pour contourner la Russie et la Chine va coûter extrêmement cher. Par exemple, il est estimé que la « relocalisation » de la production de semi-conducteurs demanderait des investissements de près de 300 milliards de dollars de la part de TSMC, Intel et Samsung. Une fois opérationnelles, ces nouvelles usines devront être protégées contre la concurrence étrangère par des taxes douanières et d’autres mesures de ce type. Ce sera d’autant plus nécessaire que leur capacité de production s’ajoutera à celle des usines déjà existantes en Chine ou à Taïwan, et donc aggravera la crise de surproduction. En un cercle vicieux, le protectionnisme alimente le protectionnisme.

Ce processus aura aussi des répercussions négatives sur les investissements. En augmentant les prix des machines et des matières premières, le protectionnisme rend les investissements moins profitables. Les investissements étrangers directs ont déjà diminué de 12 % à l’échelle mondiale, en 2022, et la nouvelle vague de mesures protectionnistes ne peut qu’accentuer ce phénomène.

A ces facteurs économiques s’ajoutent aussi des éléments politiques liés à l’impact de la crise sur les travailleurs des économies avancées. Face à des conditions économiques de plus en plus difficiles, les gouvernements capitalistes s’efforcent de garantir que « leurs » monopoles conservent ou gagnent un avantage sur la concurrence. Aux mesures protectionnistes viennent donc s’ajouter des plans d’austérité drastiques, le gel de salaires et des pressions directes sur les salariés pour extraire un maximum de profits de chaque heure travaillée. Tout ceci contribue à créer un énorme mécontentement dans la classe ouvrière et une fraction croissante de la petite bourgeoisie. Cette colère s’est traduite par un rejet croissant des partis du « centre » (« gauche » et droit).

Pour tenter de conserver leur base électorale, les politiciens bourgeois se rabattent sur le nationalisme et le protectionnisme. Ils s’efforcent de détourner la colère des masses vers « l’étranger », que celui-ci soit incarné par des migrants pauvres ou par un impérialisme rival. Trump en était l’exemple le plus flagrant : il expliquait qu’il fallait défendre la « classe ouvrière américaine » en limitant l’immigration et le commerce extérieur. D’autres dirigeants bourgeois entonnent la même mélodie – au risque de détruire la fragile structure du commerce mondial.

Ceci étant dit, contrairement à une idée propagée par les libéraux et une partie de la gauche, les oscillations entre libre-échange et protectionnisme ne sont pas une question de « choix » politiques. Elles sont conditionnées par les mécanismes fondamentaux du système capitaliste. Le libre-échange a permis de retarder de plusieurs décennies l’éclatement de l’actuelle crise de surproduction, mais au prix d’en aggraver la profondeur et l’impact. Quant au protectionnisme, il ne peut qu’approfondir l’ampleur de la crise mondiale, à terme. En fin de compte, les contradictions fondamentales du système capitaliste ne peuvent être résolues ni par le libre-échange, ni par le protectionnisme.

Socialisme ou barbarie

Les marxistes ne défendent ni le libre-échange, ni le protectionnisme. Tous deux ont joué – par le passé – un rôle historiquement progressiste, au sens où ils ont contribué au développement massif des forces productives. Mais ce sont les deux faces d’un même système – le capitalisme – qui est désormais un monstrueux obstacle sur la voie du progrès. Notre rôle n’est pas d’essayer de faire tourner à l’envers la roue de l’histoire pour revenir à la situation de 2006, de 1967 ou même du XIXe siècle. Dans son déclin irréversible, le capitalisme détruit les conquêtes qu’il avait lui-même réalisées par le passé. Il détruit ses propres chaînes d’approvisionnement et fragilise son système de relations internationales. Il favorise les guerres, pousse au militarisme et à tout le gaspillage qui les accompagne, que ce soit en ressources économiques ou en vies humaines.

Nous sommes communistes. De notre point de vue, la crise de la mondialisation n’est qu’une étape dans la crise générale du système capitaliste. Une fois ce système renversé par la classe ouvrière, une planification démocratique de l’économie ouvrira la voie à une nouvelle période de l’histoire humaine, libérée des contradictions insolubles du capitalisme. Le communisme signifiera précisément la mise en commun, à l’échelle mondiale, des ressources, des expériences et des technologies pour libérer l’humanité de la faim, de la guerre, de toutes les formes de misère et d’oppression – et lui permettre de vivre enfin une existence véritablement et pleinement humaine.


[1] Engels, Le traité commercial français, 1881

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